"La fin de notre village racontée par Monsieur Roland GUBILO, secrétaire de mairie"
"Courbet", nom donné à ce village en souvenir de l’amiral du même nom. À l’origine, ce village dépendait de la commune de l’Alma créée en 1856. Par la suite Courbet fut érigé en commune de plein exercice. Situé à 80km à l’Est d’Alger et 6km de la mer (Courbet-Marine) ce centre n’était pas sur les lignes des grandes voies de communication. C’était un village sans histoire, avec sa mairie, son école, sa poste, sa place ombragée bordée par neuf superbes ficus bien taillés au carré, son kiosque à musique dont le pourtour était carrelé et ses rues bien tracées. La plupart de ses habitants étaient des agriculteurs possédant en général de petites propriétés, avec des professions connexes (forgerons, mécaniciens, bourreliers, entreprises de défoncement) et d’autres professions nécessaires à la vie d’un village. La mairie fut construite en 1913. Ce bâtiment comprenait au centre la mairie et sur ses ailes le bureau des P.T.T. (à droite) et la salle des fêtes (à gauche). L’ensemble de ce bâtiment est la réplique de l’Hôtel de ville de Pessac (Gironde).
Outre les centres de Courbet et ses annexes Courbet-Marine et Raymond Poincaré (Zaatra) le territoire de la commune se partageait en fractions : Talamali, Ouled Youssef, Ouled Khalif, Boussara Kebir, Boussara Seghir, Zâatra Bendou. Parmi les patronymes de la population musulmane les plus nombreux étaient : Bensot, Rial, Khelifi, Zemmouri, Bendou, Benabidi, Boutiche, Talamali, Delala. Pour la petite histoire rapportons que ce village connaissait une certaine animation chaque année avant 1939 quand, vers le mois de juillet-aout, le 65ème Régiment d’artillerie de Blida y venait effectuer des exercices de tir dans la zone dite des « Touarès ».
La population totale comptait 6474 habitants (résultat du dénombrement de la population effectué en 1960 –réf : tableau annexé à l’arrêté du 1er septembre 1961 authentifiant les résultats du dit dénombrement). La population européenne avait des origines diverses, citons entre autres :
* Alscienne : ZURCHER Pierre, ZURCHER Aimé, WINCKLER, KOCH, OSTER, KLEINLa commune de Courbet était une région essentiellement agricole. On cultivait surtout la vigne puis les céréales, le tabac et le maraîchage. La cave coopérative était d’une importante capacité. Le président en était M. ZURCHER Pierre. La production des conserveries de poissons (sardines, anchois) était importante. Un petit marché se tenait chaque dimanche, on y trouvait légumes, fruits, volailles, épicerie, confection, bimbeloterie, quincaillerie.
Ce port devait sa réputation à sa zone de pêche et à sa station estivale. Ce petit port abri se trouvait dans une zone de pêche très poissonneuse. C’est pour cette raison que des conserveries de poissons (sardines, anchois) ont été installées. Elles appartenaient entre autres à Messieurs SALZANO, APICELLA, FALCONE et DI CRESCENZO. La pêche se pratiquait au lamparo. Les pêcheurs étaient tous d’origine italienne d’ISCHIA. En 1956, pour parfaire ce port une jetée fut construite. Durant les « évènements » la zone du port n’était pas soumise au couvre-feu.
Courbet-Marine était aussi une station estivale avec de nombreux cabanons dont les propriétaires étaient des communes environnantes : Ménerville, Félix Faure, Les Issers, Bordj Menaiel.
Une église (Notre Dame des Dunes) avec l’office chaque dimanche pendant la saison estivale,
Une école communale (une classe et un logement de fonction) construite en 1956 (entreprise Femenia des Issers, architecte M. CHAUZY),
Un court de tennis,
La fête de la St PIERRE (patron des pêcheurs) y était célébrée chaque année.
Un garde maritime y était en poste,
En 1957 un centre formation d’élèves gradés africains fut installé. Il était spécialement réservé aux militaires de la communauté.
Petit centre groupant quelques habitants avec aux alentours des fermes (Zurcher, Flottes, Bastos). Une école communale agrandie en 1960 par l’installation de deux classes en éléments préfabriqués. En 1960 un groupe de logements fut construit avec le concours de l’O.P.H.L.M. du département d’Alger.
L’école communale se trouvait sur la place, face à la mairie. Par suite de l’accroissement de la population scolaire elle s’avéra insuffisante ce qui entraîna la construction d’un groupe scolaire, cinq classes et logements de fonctions en 1959 (entreprise Dominici frères, architecte M. CHAUZY).
Il concernait les adultes. La maçonnerie était enseignée. Ce centre dépendait de la section de Tizi-Ouzou.
La R.N. n°24 traversait le territoire de la commune. La gare la plus proche était celle de Félix-Faure. Un service de cars assurait quotidiennement la liaison Courbet-Alger. Au service DELUCA succéda le transport SOUFI. Le point de départ d’Alger se trouvait rue Ledru-Rollin.
La commune possédait de nombreux terrains dits «Les communaux» complantés en vigne qu’elle louait. Le lot le plus important était celui dit de la ferme AYMERIC, dont les bâtiments furent incendiés lors des « évènements ». en bordure de mer une vaste forêt s’étendait. Elle était sous régime domanial. Un garde forestier en poste à Courbet en avait la charge.
La commune de Courbet a été très affectée par les «évènements». Outre les nombreuses exactions, beaucoup de ses habitants ont profondément souffert dans leur chair. Harcèlement des centres, incendies des fermes, destruction de récoltes, les attentats furent nombreux. Au nombre des victimes :
PONS Pierre, boulanger, GERMSER Jean maçon,Sept membres des familles FUSTER et FAYOS employés dans le domaine CHEVALLIER, près de Courbet furent assassinés le dimanche 25 août 1957.
D’autres furent blessés :M. DOMINICI Pascal échappa à une attaque sur la route reliant Courbet à Félix Faure. Une grenade fut jetée dans la boulangerie de M. TUR (dégâts matériels, pas de victimes) et les auteurs furent abattus.
Dans le cadre de la pacification une S.A.S. dont le chef, le lieutenant BERTUCCI Eugène fut blessé au cours d’une opération de police, fut implantée à Courbet (immeuble Charnoz). Par la suite elle fut rattachée à celle de Félix Faure-Mandourah (capitaine PHOENIX). Les populations de toutes les fractions avaient été regroupées autour de Courbet et de Raymond Poincaré. Militairement la commune dépendait du quartier ALMA-MENERVILLE (1/405 R.A.A. Lieutenant-colonel GRAY et Commandant TAMPON LAJARIETTE).
La sécurité du territoire de la commune fut successivement assurée par :
Malgré les dangers, les agriculteurs se rendaient toujours sur leur terre. Le 13 mai 1958 entraîna comme partout ailleurs la constitution d’un Comité de Salut Public dont le bureau fut assez contreversé. Une manifestation eut lieu devant le Monument aux Morts le 25 mai 1958.
Lors du referendum de septembre 1958, les électeurs de Courbet répondirent massivement « oui ». Aux élections législatives qui suivirent la liste MARCAIS Philippe, LAURIOL Marc, ABDESLAM Robert et SID CARA Nefissa (barrée « bleu ») obtint une large majorité. Aux élections municipales la liste ZURCHER Pierre fut élue (barrée « jaune »).
En mai 1958, les sauterelles s’abattirent sur le territoire de la commune partout dans la région causant d’importants dégâts. La lutte anti-acridienne fut menée par le syndicat communal de défense contre les sauterelles (Président Jean MOLL). Le scrutin cantonal fut favorable à la liste CONTANT Emile, maire de l’Alma (barrée « rouge » de tendance gaulliste).
Au referendum du 8 janvier 1961, malgré la forte et menaçante pression exercée par l’armée, le « non » l’emporta largement. Pour ce scrutin les graffiti dont l’armée fut l’auteur firent leur apparition. C’est ainsi qu’à l’entrée de la mairie on pouvait lire « seuls les c… votent non ». Le kiosque à musique de la place tout récemment repeint fut barbouillé de non. Et le chef de bataillon GROMULD commandant le C.F.E.G.A. de Courbet-Marine mis en demeure M. ZURCHER , Maire, de faire disparaître toutes ces inscriptions. Les laisser était, paraît-il, de la provocation. Tout ceci bien entendu, pour la petite histoire.
Le nommé ACHEUN Djema qui avait pris le maquis dès les premiers jours de la rébellion et qui avait échappé à toutes les recherches a été tué quelques jours avant le 19 mars 1962. Il se cachait dans le centre de regroupement de Courbet.Le scrutin d’autodétermination du 1er juillet 1962 se déroula sans incident. Les Français votèrent, de nombreux bulletins blancs furent comptés. La municipalité de la « République Française » resta en place jusqu’au août 1962. elle céda les lieu et place à la délégation spéciale que l’administration algérienne désigna. M. KANOUN un agriculteur en était le président. Il était illettré. L’état algérien se mettait en place. Le drapeau algérien hissé au fronton de la mairie qu’une salve d’armes salua ainsi que des you you. Tous les Européens durent déposer en mairie toutes les armes qu’ils détenaient (contre reçu). Ceux-ci peu à peu faisaient leur bagages et Courbet se vidait de sa population européenne. Les biens devenaient vacants. Le Monument aux Morts fut détruit. Cet acte eut lieu un après midi. Pour ce faire, les exécutants utilisèrent un camion qui, à l’aide d’une corde, fit basculer la stèle de pierre surmontée du coq gaulois, qui fut ensuite réduite à la masse en petits morceaux lesquels allèrent combler les ornières d’une route.
Yves BANDET, Mise en page le 13 Mai 2009